Harmonie
Je suis rentré à pied par le soï 22 à la tombée du jour. L’air se rafraîchit légèrement : il fait bon dehors et tout le monde est dans la rue. J’ai acheté chez trois petites dames différentes des mangues, des bananes et des sapotilles (qui sont presque aussi bonnes que les mangues). En rentrant, je donne un peu de ma récolte à ma brave concierge : elle est ravie et moi aussi. Ce petit bain de foule dans mon soï*, le soir, vaut bien toutes les nuisances de Bangkok ; je me rends compte combien j’aime toujours cette ville : je n’ai pas envie de la quitter. Cette foule détendue à la fin de la journée, heureuse, avec qui on échange des sourires, des regards pleins de chaleur et de gentillesse ; sans se laisser affecter par les tas d’ordures sur les trottoirs, les motos qui passent en vrombissant, les dizaines de grues et de machines gigantesques qui s’activent jour et nuit pour construire les monstres de béton qui envahissent la ville à toute vitesse. Je me sens parfaitement en harmonie avec tout ça : les gens, les sourires, le bruit, le béton ; tout n’est que la nature, sous ses formes urbaines et technologiques peut-être, mais c’est la nature quand même. C’est le monde ! Tout n’est que particules, énergies : les mêmes particules, les mêmes énergies que dans la forêt ou au bord de la mer, arrangées un peu différemment, c’est tout. Et en chaque chose luit, pour celui qui sait voir, la nature de bouddha ; pourquoi aller la chercher dans les arbres ou les vagues ? Le principal est d’être bien à l’intérieur de soi, d’être en paix avec ses propres particules et énergies ; alors, où que nous soyons, nos particules seront en harmonie avec celles du monde qui nous entoure, qu’il soit de calme et de verdure ou de bruit et de béton !
* Soï (thaï) : en Thaïlande, désigne les ruelles latérales, souvent des impasses, qui débouchent sur les artères principales.
10 avril 1990, Bangkok