Tout ce que je vois en me promenant dans le quartier est complètement abstrait, insaisissable, dérisoire, chaotique, surréaliste : un monde complètement irréel. La réalité dépasse la fiction : énigmatique, indéfinissable, indescriptible, inénarrable, au-delà des concepts, des perceptions et des sensations.

Dans la nature, il y a une certaine cohérence, qui peut faire penser que les choses existent réellement ; mais là ! Les choses apparaissent, fonctionnent et disparaissent d’une façon tout à fait aléatoire et incohérente, comme mues par l’inertie inexorable des causes et conditions d’un réseau d’interrelations empiriques et fortuites.

Si on regarde ce monde attentivement et dans le détail, c’est un spectacle fou, extravagant, invraisemblable. Même ici, dans cet appartement, rien n’a d’existence inhérente – et moi le premier, au milieu de tout le reste ! Il est impossible de prendre cela au sérieux, et d’être soi-même sérieux : se prendre au sérieux dans ce monde délirant serait insensé. Pourtant, c’est ce qui se passe la plupart du temps : on s’identifier à l’observateur fantoche de cette décadence entropique, de ce carnaval cocasse ! La seule chose à faire est d’en rire ; ou plutôt d’en sourire, pour ne pas froisser les acteurs de ce jeu morbide qui tiennent si fermement à leur rôle !

31 mars 1991, Bangkok